Assistante de français — parler des attentats

Je suis assistante de français dans un Lycée à Lucca, et évidemment, comme partout ailleurs les attentats de la semaine dernière ont été au cœur des discussions et donc de mon travail ces dix derniers jours. Les Français sont loin d’avoir le monopole de la douleur, de la peur et des photos de profil facebook tricolores dans cette histoire. Les médias, même étrangers, ne parlent plus que des attaques, et les élèves en ont (parfois trop) entendu parler. Ils sont des Lycéens (entre 14 et 20 ans) et ont été impressionnés par la violence et la proximité des attentats, Il était donc nécessaire d’en discuter avec eux.

 


 

Des débats ont été menés en priorité dans les classes les plus élevées (4ème et 5ème année), si on pouvait se permettre de s’écarter du sacro-saint programme pendant un instant. Avec certaines classes particulièrement … turbulentes ou peu motivées, les professeurs référents préféraient parfois ne pas aborder le sujet, mais systématiquement dans ce cas les élèves ont trouvé des moyens de me faire comprendre qu’ils savaient ce qui s’étaient passé, parfois juste en me glissant un petit « c’est bien que vous ayez été chez nous et pas en France vendredi dernier ». Dans ces cas-là c’était un peu frustrant pour moi de ne pas pouvoir répondre à leurs attentes et de devoir continuer à leur expliquer pourquoi ils devaient utiliser le subjonctif dans telle phrase et pas le conditionnel.

De manière générale, mes élèves étaient très intéressés par le sujet. Il y a eu beaucoup moins de bavardage dans tous les coins pendant ces cours, et la curiosité du premier jour vis-à-vis de moi est revenue d’un coup. Pour eux, c’était assez important d’avoir une vision « de l’intérieur », ça rapprochait encore plus les attentats d’eux d’avoir quelqu’un de français en face, ils étaient intéressés par mon opinion personnelle plus que par autre chose. Par contre, quand eux devaient en parler, il y avait souvent des réticences. D’habitudes, elles sont liées à la peur de se tromper, au manque de vocabulaire. Évidemment vu les circonstances, ça n’était pas du tout notre priorité. Non, cette fois ce qui les bloquait, c’était tout simplement qu’aucun n’est expert en géo-politique, et donc ils avaient l’impression que leur opinion n’aurait rien apporté au débat (et je vous assure que dans la majorité des cas ce n’est pas de l’auto-dévaluation, ils sont vraiment ignorants de leur politique intérieure et encore plus de celle des autres pays. Par exemple, les ¾ ne connaissaient pas la situation en Syrie et encore moins l’implication militaire d’autres pays dans le conflit). De manière générale, j’ai aussi remarqué que les élèves musulmans étaient souvent parmi les plus impliqués dans la discussion et les plus attentifs (bien évidemment ils ne m’ont pas dit leur confession et je ne leur ai pas demandé, mais le Lycée est petit, et les profs parlent beaucoup entre eux …)

peace for paris

Bien sûr, la distance avec Paris aidant, ils ont brouillé pas mal d’informations, ou alors n’ont retenu que les plus ‘trash’ et glauques (« madame, vous savez qu’il y a un gars qui s’est caché sous des cadavres pendant 2h ? Je l’ai vu à la tv hier ! » «j’ai vu y’a un gars il a été sauvé par son Iphone ! La balle a été arrêtée par son téléphone avant de le toucher! Si c’est vrai, j’ai vu les photos ! »), donc il fallait souvent recentrer le débat sur les faits les plus importants. Les intox qui circulaient en France étaient bien sûr arrivées à l’étranger, donc il fallait aussi remettre les choses au clair sur de nombreux points qu’ils soulevaient. Pour un certain nombre d’élèves (une minorité), les attentats en France et les très nombreux rebondissements de l’enquête et des attaques étaient un feuilleton et rien de plus, et c’est souvent dans ces classes-là que les professeurs n’ont pas voulu aborder le débat.

Au fil de la semaine, j’ai remarqué que l’émotion du départ s’est diluée un peu, et ils sont devenus de plus en plus inquiets pour leur propre sort. Ils appréciaient qu’on essaye de lister ensemble les raisons pour lesquelles la France avait été attaquée, comme si c’étaient autant de raisons pour que eux ne le soient pas. Les inquiétudes sont aussi montées rapidement quant à savoir l’impact que les attentats auraient pour leur pays, surtout après le discours de François Hollande et la possibilité que ça entraine aussi l’Italie dans une guerre à l’étranger.

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Comme en France, une minute de silence a été déclarée dans les établissements scolaires en Italie le lundi 16 à 12h30. Globalement elle a été respectée et c’était un moment émouvant pour plusieurs élèves. Une de mes classes était très étonnée quand je leur en ai parlé le lendemain, leur professeur avait apparemment oublié de les prévenir et ils ont continué le cours normalement. Une seule autre de mes classes a rechigné à faire cette minute de silence. C’est une classe où nous avions eu le matin même une discussion très mouvementée sur la légitimité de l’attention que recevait Paris par rapport à toutes les autres villes et les autres pays touchés par le terrorisme et tous les élèves étaient à l’unisson pour critiquer l’hypocrisie des médias et de l’empathie mondiale, et donc ont reporté cette critique sur la minute de silence. Les autres classes étaient plutôt de l’avis que, oui, il y avait une hypocrisie, mais qu’il était normal de leur part de se sentir plus proche d’un pays qui est leur voisin et avec lequel ils ont beaucoup de lien plutôt qu’avec un pays du Moyen-Orient qu’ils peineraient à situer sur une carte. Certains m’ont aussi dit que même s’il n’était pas juste de faire une minute de silence uniquement pour Paris, ils avaient utilisé celle qui leur était proposée par l’école pour rendre hommage à toutes les victimes du terrorisme, pas seulement les françaises. D’autres ont même été jusqu’à proposer qu’on fasse tous les jours une « minute de la misère humaine » pour être plus équitables et m’ont assuré qu’ils feraient désormais personnellement ça tous les soirs. C’était évidemment une réaction à chaud, je leur demanderai ce qu’il en est d’ici quelques semaines …

 


 

Les questions qui sont revenues le plus souvent dans les discussions :

  • Est-ce que ta famille va bien ?
  • Est-ce que tu penses que le Pape est en sécurité ?
  • Qu’est-ce que ça veut dire « Bataclan » ?
  • Est-ce que tu as peur ?
  • Pourquoi c’est toujours en France et jamais dans les autres pays d’Europe ?

 

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